Les professionnels de santé exerçant en soins primaires – médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes, sages-femmes, podologues… – constituent le premier point de contact avec le système de santé pour une grande majorité de particuliers. Pourtant, leur contribution à la production de connaissances scientifiques reste encore marginale. En France, comme dans de nombreux pays européens, la recherche reste encore largement trop souvent déconnectée des réalités de terrain.
Si la volonté politique d’ancrer davantage la recherche dans la pratique de Ville se renforce, elle doit s’accompagner de transformations systémiques et structurelles. Car renforcer la culture de la recherche dans les soins primaires ne relève pas d’un simple enjeu académique. C’est un levier stratégique pour améliorer la qualité, la pertinence et la durabilité des politiques de santé publique.
Une recherche encore trop centralisée, éloignée des pratiques de terrain
La littérature et les données récentes le confirment : moins de 5 % des professionnels de santé de Ville prennent part à des projets de recherche clinique. Ce chiffre témoigne d’un paradoxe relativement préoccupant. Alors que ces acteurs sont les mieux placés pour documenter les parcours de soins, identifier les zones de fragilité ou tester des innovations organisationnelles (entre autres), ils restent sous-représentés dans les publications, les essais et les évaluations de politiques de santé.
Cette distance n’est pas uniquement une question de volonté individuelle. Elle est le fruit de déterminants multiples :
- Un manque de formation initiale et continue à la démarche scientifique.
- Un manque d’infrastructures adaptées aux réalités libérales ou ambulatoires.
- Des incitations économiques et académiques perçues comme peu attractives.
- Une représentation élitiste de la recherche, vécue comme inaccessible ou réservée aux hospitalo-universitaires.
Un enjeu de formation : inscrire la recherche dans les parcours dès l’université (et au-delà)
La culture de la recherche ne se décrète pas, elle se construit. Cela suppose d’intervenir très en amont, dans les cursus de formation initiale notamment. Intégrer des modules de recherche appliquée dans les études médicales, infirmières, pharmaceutiques ou encore paramédicales, avec un lien concret aux enjeux de santé publique, permet de décloisonner les approches dès le départ.
Il ne s’agit pas de former tous les futurs professionnels à la recherche clinique à plein temps, mais de leur transmettre des clés de compréhension, des outils méthodologiques et une capacité à dialoguer avec la communauté scientifique. Les travaux de recherche encadrés en deuxième cycle, les stages dans des structures mixtes soins-recherche ou encore les DU/DIU centrés sur les soins primaires sont autant d’exemples structurants.
Mais, sans surprise, cette dynamique nécessite d’être soutenue par des financements dédiés, une valorisation académique claire et des passerelles avec les universités.
Construire des écosystèmes favorables à l’émergence d’une recherche de proximité
L’isolement structurel des professionnels de santé libéraux constitue un frein majeur. Pour y remédier, il est nécessaire de développer des écosystèmes de recherche territorialisés, à l’image de ce que les CHU ont su construire en milieu hospitalier.
Cela passe par plusieurs leviers, dont :
- La création de structures hybrides telles que les centres universitaires de soins primaires ou les MSP labellisées pour la recherche, intégrant une gouvernance partagée avec les universités et les Agences Régionales de Santé, ARS.
- Le financement de postes mixtes (clinicien-chercheur, méthodologiste mobile, ingénieur d’étude) sur des temps partiels compatibles avec l’exercice libéral.
- La structuration de réseaux interprofessionnels de recherche à l’échelle régionale ou interrégionale, capables de porter des projets multicentriques et de mutualiser les compétences.
Ces dispositifs permettent non seulement de professionnaliser la démarche de recherche, mais aussi de consolider des collaborations interprofessionnelles souvent fragiles sur le terrain.
Comment valoriser l’engagement dans la recherche comme acte professionnel à part entière ?
Un autre levier déterminant est celui de la reconnaissance. L’engagement dans la recherche ne doit plus être vu comme un « à côté », mais comme une activité professionnelle légitime et valorisable, au même titre que la formation, la prévention ou la coordination.
Cela implique :
- D’intégrer les activités de recherche dans les critères d’évaluation professionnelle, qu’il s’agisse de la certification, des entretiens conventionnels ou des appels à projet innovants.
- De reconnaître formellement les contributions scientifiques, que ce soit par les publications, l’accès à des grades académiques ou des points valorisants dans les appels d’offres.
- D’introduire des incitations concrètes et fortes, telles que des congés spécifiques, des crédits d’impôt recherche adaptés aux structures libérales ou des primes forfaitaires encadrées par les ARS par exemple.
Une telle reconnaissance formelle est indispensable pour pérenniser l’engagement des soignants dans la production de données probantes.
Ouvrir la recherche à toutes les formes de contribution
La recherche en soins primaires n’a pas vocation à reproduire le modèle hospitalo-centré des essais randomisés classiques. Elle repose sur une logique participative, fondée sur la contribution d’acteurs divers au travers de :
- La collecte de données standardisées sur des indicateurs de santé publique.
- L’évaluation d’outils numériques, de protocoles pluriprofessionnels ou de parcours de soins innovants.
- La mise en œuvre d’études qualitatives ou de recherches-actions ancrées dans les besoins du territoire.
Chaque professionnel peut y contribuer, à différents niveaux d’implication, sans nécessairement devenir porteur de projet ou auteur principal. Cette approche décloisonnée est essentielle pour abonder la recherche de données issues du réel.
Proposer aux acteurs des soins primaires des ressources simples, mutualisées et accessibles
Enfin, pour que cette recherche de proximité se développe, il est impératif de lever les barrières techniques et organisationnelles. Mais comment ?
- En proposant des outils numériques ergonomiques et interopérables tels que l’eCRF, les modules d’anonymisation, les logiciels d’analyse simplifiée…
- En créant des guichets méthodologiques de proximité, portés par les URPS ou les GRADeS, Groupements Régionaux d’Appui au Développement de la e-Santé, permettant un accompagnement sur mesure pour le montage de projet.
- En mutualisant les modèles de documents (protocoles type, fiches de consentement, grilles d’évaluation), pour ne pas réinventer la roue à chaque projet.
Dans l’idéal, ces outils doivent être co-développés avec les utilisateurs finaux pour garantir leur pertinence et leur adoption.
Une ambition collective à concrétiser
Faire émerger une véritable culture de la recherche en soins primaires est une nécessité, une condition pour transformer en profondeur notre système de santé, pour le rendre plus apprenant, plus équitable, plus ouvert et plus centré sur les réalités de terrain.
Les professionnels de santé n’ont pas tous vocation à devenir des chercheurs à temps plein. Ils souhaitent cependant pouvoir contribuer, à leur niveau, à une santé davantage fondée sur les faits, plus proche des besoins de leurs patients et mieux outillée pour répondre aux défis de demain.
L’impulsion politique est là. Les initiatives locales se multiplient. Il reste à fédérer ces dynamiques, à les épauler et à les valoriser. C’est de cette alliance entre soin et recherche que naîtra une santé véritablement fondée sur les preuves… de terrain.
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